La tĂȘte dans les nuages
Un ballon Ă gaz se pose au Labrador
par Ăric Cyr
La nouvelle a circulĂ© sur plusieurs tribunes mĂ©diatiques de la planĂšte. Deux aĂ©rostiers suisses ont battu le record en compĂ©tition de distance en ballons Ă gaz aprĂšs une Ă©popĂ©e aĂ©rienne de 3 670 km remportant par la mĂȘme occasion la compĂ©tition annuelle de la course de charliĂšres de longue distance de lâAmericaâs Challenge, organisĂ©e par lâAlbuquerque International Balloon Fiesta, le plus grand festival de montgolfiĂšres au monde, dans laquelle ils concourraient. Câest Ă la suite dâun atterrissage dans une zone boisĂ©e au sud du lac Lorraine non loin de Labrador City au Labrador, le 10 octobre dernier, que les deux membres dâĂ©quipage du Fribourg Challenge, Laurent Sciboz et Nicolas TiĂšche, ont dĂ©passĂ© le prĂ©cĂ©dent exploit mondial.
Ils dĂ©trĂŽnent ainsi les champions belges Robert Berben, un commandant de bord dâun Airbus A330-300 et A319 chez Brussel Airlines, et BenoĂźt SimĂ©ons, qui dĂ©tenaient ce titre depuis 2005 aprĂšs avoir parcouru la distance de 3 379 km en 65 heures 16 minutes durant la coupe aĂ©ronautique Gordon Bennett. LâĂ©quipage du Belgium 1 avait alors atterri Ă une cinquantaine de kilomĂštres Ă lâest de RiviĂšre-du-Loup au QuĂ©bec. Les Suisses ont fait dâune pierre deux coups puisquâils ont par la mĂȘme occasion aussi dĂ©classĂ© les tenants du record du Americaâs Challenge de 3 215,5 km qui avait Ă©tĂ© Ă©tabli en 64 heures en lâan 2000 par les AmĂ©ricains, David Levin (dĂ©cĂ©dĂ© en mai dernier Ă 68 ans) et son frĂšre Alan.
Des paysages magnifiques
Lâaventure digne dâun roman de Jules Verne, qui a publiĂ© Cinq semaines en ballon, a surpris le chef du dĂ©partement des incendies de Labrador City, Joe Power. « Lorsque jâai reçu lâappel de lâĂ©quipe au sol de Fribourg Challenge localisĂ©e en Suisse Ă 9 heures du matin, jâai dâabord cru Ă un canular, je pensais que câĂ©tait une blague. Imaginez, nous sommes en octobre et il a dĂ©jĂ commencĂ© Ă neiger ici. AprĂšs avoir reçu un second appel tĂ©lĂ©phonique du Gaz Command Center dâAlbuquerque, jâai rĂ©alisĂ© que la situation Ă©tait bien rĂ©elle. » Qui aurait pu imaginer un tel scĂ©nario au-dessus de la taĂŻga canadienne?
AprĂšs avoir traversĂ© neuf Ă©tats amĂ©ricains et trois provinces canadiennes en aĂ©rostat dans une nacelle couverte dâĂ peine un mĂštre carrĂ©, oĂč ils doivent demeurer debout et quâils ont partagĂ©e durant trois jours et trois nuits, les deux hommes sont quelque peu Ă©puisĂ©s. Ils ne peuvent se permettre de dormir Ă tour de rĂŽle que quatre heures par jour puisquâils doivent demeurer en constante communication avec les aĂ©roports survolĂ©s et les avions quâils croisent. Le pilote Laurent Sciboz a visiblement Ă©tĂ© impressionnĂ© par les vastes Ă©tendues nordiques de la forĂȘt borĂ©ale et de la taĂŻga.
« Il y avait des arbres, des lacs et une nature grandiose Ă perte de vue. On avait lâimpression que cette magnifique vision ne sâarrĂȘterait jamais. Puis alors que nous dĂ©rivions Ă travers les nuages poussĂ©s par le vent, la neige mordante sâest mise Ă tomber et le sol se rapprochait soudainement de plus en plus. »
Le sol ou le cielâŠ
Les deux aĂ©ronautes, qui ont dĂ©collĂ© en ballon dâAlbuquerque au Nouveau-Mexique (Ătats-Unis) le 7 octobre dernier, avaient prĂ©vu dâatterrir quelque part dans le nord du QuĂ©bec, mais se sont plutĂŽt posĂ©s Ă court de sable (le « carburant » des ballons Ă gaz) dans les environs de Labrador City quelques jours plus tard, le 10 octobre Ă 8 h 35, aprĂšs 59 heures et 35 minutes de vol. AidĂ©s de la force du vent qui a contribuĂ© Ă propulser leur ballon Ă des vitesses pouvant atteindre 140 km/h, les coĂ©quipiers, qui ont Ă©tĂ© informĂ©s quelques heures plus tĂŽt quâils viennent dâĂ©tablir un nouveau record du monde, prennent la dĂ©cision de redescendre au sol en considĂ©rant quâils avaient larguĂ© presque tout leur lest (sacs de sable) et Ă©puisĂ© leur rĂ©serve de gaz. Ils savent quâils doivent tenter un atterrage ou courir le risque de ne plus revoir la terre. Les premiers intervenants, incluant des pompiers, des policiers de la Royal Newfoundland Constabulary et des gardiens de sĂ©curitĂ© de la miniĂšre Rio Tinto IOC, ont gĂ©rĂ© la situation inusitĂ©e avec professionnalisme.
Comme le lieu de lâatterrissage de lâaĂ©ronef Ă©tait inaccessible par voie terrestre, lâhĂ©licoptĂšre le plus proche qui Ă©tait dans la localitĂ© voisine de Fermont au QuĂ©bec a Ă©tĂ© appelĂ© en renfort afin de localiser les occupants du ballon qui ont Ă©tĂ© secourus sans encombre par le pilote Luc Gauthier qui a aussi rapatriĂ© en quelques minutes lâaĂ©rostat.
Les deux Suisses ont par la suite Ă©tĂ© conduits Ă Labrador City oĂč ils ont pu se remettre de leurs Ă©motions dans une chambre dâhĂŽtel aprĂšs avoir Ă©tĂ© examinĂ©s par un ambulancier paramĂ©dical. Le lendemain, ils roulent la toile du ballon et rassemblent leurs Ă©quipements dans la caserne locale. Leur pĂ©riple nâest pas terminĂ© puisquâils repartent sur-le-champ afin dâaller rĂ©cupĂ©rer le prestigieux trophĂ©e sur les lieux de leur dĂ©part en aĂ©rodyne dans le dĂ©sert du Nouveau-Mexique Ă proximitĂ© de la frontiĂšre entre les Ătats-Unis et le Mexique.
LâĂ©quipe au sol, qui a aussi vĂ©cu une aventure Ă laquelle ils ne sâattendaient pas en empruntant la sinueuse route nationale 389, « fait monter » les deux aĂ©ronautes qui ont encore beaucoup de route Ă faire, cette fois-ci sur le plancher des vaches.