Hydroélectricité
Le fiasco de Muskrat Falls
par Éric Cyr
Le projet hydroélectrique de Muskrat Falls, au Labrador, a accumulé de nombreux retards et des dépenses excédentaires allant jusqu’à menacer sa réalisation. Étant à ce point avancé, ses dirigeants n’auront vraisemblablement pas le choix de le terminer tout en infligeant un terrible coup aux finances de la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Le gouvernement fédéral est venu à la rescousse en garantissant des sommes supplémentaires tout en créant un affront au Québec.
Bref historique
Cette saga dérive du vieux contentieux sur l’aménagement de la centrale de Churchill Falls, sur le fleuve Churchill, en amont de Muskrat Falls. Dans les années 1960, le premier ministre de Terre-Neuve de l’époque, Joe Smallwood, rêve d’un important complexe hydroélectrique au Labrador, mais ne dispose pas des moyens financiers pour la concrétisation de ce projet d’envergure. Après une entente, c’est Hydro-Québec disposant d’une expertise et mieux positionnée sur les marchés internationaux qui devient maître d’œuvre du projet et qui prend le risque de solliciter les financiers américains de Wall Street.
La société d’État québécoise va de l’avant et négocie un contrat avec Terre-Neuve selon lequel elle paie toute la facture, mais recevra en retour toute l’électricité produite par la centrale au tarif de 25 cents le kilowatt jusqu’en 2041.
La centrale de Churchill Falls, mise en service en 1971, représente actuellement le huitième de l’approvisionnement en électricité du Québec. Le prix consenti dans le cadre de cet accord pourrait ressembler aujourd’hui à un vol, mais il faut se replonger dans le contexte historique, Hydro-Québec a pris tous les risques financiers et logistiques en effectuant les travaux dans un environnement nordique difficile et en retardant l’aménagement des rivières se jetant dans la baie James, son principal chantier québécois. Terre-Neuve-et-Labrador insatisfaite de la tournure des événements, qui ont nettement favorisé le Québec, a par la suite tenté de renégocier l’entente et fait appel à la Cour supérieure du Québec et à la Cour suprême du Canada sans résultat. Un contrat est un contrat et on ne peut réécrire l’histoire, mais advenant un tout autre scénario, Hydro-Québec aurait tout aussi bien pu y laisser sa chemise et plonger le Québec dans un profond marasme économique.
Hydro-Québec évite la tourmente
Ce préambule a mené à la situation problématique actuelle puisque lorsqu’est venu le temps de songer à développer la nouvelle phase du fleuve Churchill à Muskrat Falls, de concert avec Hydro-Québec, Terre-Neuve-et-Labrador a sorti les gants de boxe. Après quelques négociations avortées avec Québec et l’absence d’entente sur le transport de l’énergie à travers le Québec, la société d’État Nalcor, le vis-à-vis d’Hydro-Québec a choisi d’aller de l’avant en ignorant l’expertise québécoise, choisissant plutôt de favoriser les Italiens, et en envisageant la création de deux liens sous-marins considérés comme un défi technique considérable, le premier reliant le Labrador à l’île de Terre-Neuve et le second allant rejoindre la Nouvelle-Écosse pour éventuellement atteindre le marché américain. La facture totale actuelle de Muskrat Falls exigerait une facturation maximale pour simplement récupérer la mise de fonds alors que le tarif d’ électricité s’effondrent aux États-Unis à cause du faible prix du gaz naturel. Les coûts grimpent et les liens sous-marins ne sont pas encore construits laissant envisager un gouffre financier.