Hydroélectricité
Entente historique dâun demi-siĂšcle
par Ăric Cyr
Un protocole dâentente de 50 ans, dĂ©voilĂ© en grande pompe dans le cadre dâune confĂ©rence de presse, le 12 dĂ©cembre 2024, a Ă©tĂ© conclu entre les gouvernements du QuĂ©bec et de Terre-Neuve-et-Labrador au sujet de lâhydroĂ©lectricitĂ©. Celle-ci viendra Ă Ă©chĂ©ance en 2075. Hydro-QuĂ©bec investira un montant de 25 milliards de dollars (G$) pour trois projets au Labrador.
La construction dâune nouvelle centrale hydroĂ©lectrique dâune capacitĂ© de 2250 mW Ă Gull Island, qui commencera ses activitĂ©s dâici 2034-2035, totalisera 20 G$ et une autre, Churchill Falls 2 (CF2), de 1100 mW, devrait ĂȘtre terminĂ©e dâici 2035 pour 3,5 G$. Des travaux dâamĂ©lioration de la centrale existante de Churchill Falls de 1,5 G$ destinĂ©s Ă obtenir une augmentation progressive de la puissance actuelle qui sâaccroĂźtra de 550 mW additionnels de 2028 Ă 2038 sont aussi prĂ©vus. Ce projet Ă©nergĂ©tique sur lequel se sont entendus les gouvernements caquiste de François Legault et libĂ©ral dâAndrew Furey, tous deux en perte de popularitĂ©, modifie lâancienne entente de Churchill Falls qui garantissait au QuĂ©bec des prix trĂšs infĂ©rieurs Ă la valeur du marchĂ© jusquâen 2041 dont la nouvelle Ă©chĂ©ance est dorĂ©navant fixĂ©e Ă 2025.
Ce nouveau scĂ©nario ne fait pas lâunanimitĂ© au sein des partis dâopposition des deux provinces et a Ă©tĂ© soumis Ă un vote de la Chambre dâassemblĂ©e de Terre-Neuve-et-Labrador, qui a adoptĂ©, Ă la suite dâun dĂ©bat exceptionnel de lâAssemblĂ©e lĂ©gislative quatre jours Ă ce sujet, le 9 janvier 2025, une motion en faveur dâun accord de principe qui accorde aux nĂ©gociateurs de la sociĂ©tĂ© de la Couronne Newfoundland and Labrador Hydro (Hydro NL), qui sera le propriĂ©taire majoritaire de ces projets, un mandat les autorisant Ă poursuivre les nĂ©gociations en vue de conclure une entente dĂ©finitive avec la sociĂ©tĂ© dâĂtat Hydro-QuĂ©bec qui devrait ĂȘtre finalisĂ©e en 2026. Les progressistes-conservateurs, qui avaient donnĂ© le feu vert Ă lâĂ©poque au dĂ©marrage du dĂ©sastreux projet hydroĂ©lectrique de Muskrat Falls, ont demandĂ© de reporter le vote jusquâĂ une rĂ©vision de lâarrangement provisoire avant de prendre une dĂ©cision irrĂ©vocable. Les dĂ©putĂ©s de ce parti ont finalement boycottĂ© le suffrage et sont sortis en guise de contestation. AprĂšs avoir hĂ©sitĂ©, les nĂ©o-dĂ©mocrates et les deux dĂ©putĂ©s indĂ©pendants se sont rangĂ©s du cĂŽtĂ© du gouvernement aprĂšs avoir obtenu lâassurance quâun groupe indĂ©pendant examinera le protocole dâentente et les nĂ©gociations ultĂ©rieures.
Le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Andrew Furey, qui a dĂ©chirĂ© de façon thĂ©Ăątrale le contrat initial de 1969 et assurĂ© que la frontiĂšre du Labrador est dĂ©finitive, considĂšre que cette transaction, quâil dĂ©crit comme Ă©tant potentiellement la plus importante de lâhistoire de sa province lourdement endettĂ©e, est un tournant qui mettra fin au sentiment dâamertume qui dĂ©coulait de lâentente prĂ©cĂ©dente qui avantageait selon lui grandement le QuĂ©bec. La PDG dâHydro NL, qui prĂ©sentera une sĂ©rie de webinaires destinĂ©s Ă expliquer lâentente, Jennifer Williams, est satisfaite du nouvel accord qui comporte selon elle de nombreux avantages et qui permettra Ă ses concitoyens de reprendre le contrĂŽle du fleuve Churchill. Le gouvernement de cette province a Ă©galement lancĂ© une campagne de promotion mettant en vedette des ouvriers visant Ă stimuler lâassentiment de la population.
Entente hydroélectrique
Bémols du Parti québécois
Le Parti quĂ©bĂ©cois (PQ) se questionne Ă savoir sâil faut cĂ©lĂ©brer lâentente entre QuĂ©bec et St. Johnâs en ce qui concerne Churchill Falls et considĂšre que peut-ĂȘtre du cĂŽtĂ© de Terre-Neuve il y a lieu de triompher comme le premier ministre Andrew Furey lâa fait. Cependant, du cĂŽtĂ© du QuĂ©bec, il est dâavis quâil faut examiner les faits avec luciditĂ© et rigueur.
Le PQ fĂ©licite lâĂ©quipe de nĂ©gociation dâHydro-QuĂ©bec pour le travail de longue haleine effectuĂ© afin dâarriver Ă cette entente et qui a fait au mieux avec les cartes quâelle avait en main, mais dĂ©plore en revanche que le gouvernement Legault ne lui ait pas distribuĂ© la meilleure main. Il juge quâil y aurait eu dâautres options par exemple la construction dâinfrastructures de production ailleurs qui aurait pu coĂ»ter plus cher avec un prix de production dâĂ©nergie du kilowatt/heure (â” / kWh) plus Ă©levĂ©.
Selon le chef du PQ, Paul St-Pierre Plamondon, le Québec aurait dû aborder la négociation avec la posture suivante :
– La centrale de Churchill Falls est situĂ©e au Labrador, un territoire qui a Ă©tĂ© amputĂ© du QuĂ©bec pour ĂȘtre attribuĂ© Ă Terre-Neuve, une injustice historique. Aucun gouvernement du QuĂ©bec nâa reconnu la frontiĂšre du Labrador dĂ©terminĂ©e par la mauvaise dĂ©cision rendue en 1927 par le Conseil privĂ©, une institution coloniale britannique qui, comme lâhistoire lâa maintes fois dĂ©montrĂ©, a penchĂ© en dĂ©faveur du QuĂ©bec. Dans une dĂ©claration publiĂ©e en 2001 lors du changement de nom de Terre-Neuve, le gouvernement Landry a rĂ©itĂ©rĂ© que le QuĂ©bec nâaccepte pas la dĂ©cision de 1927 et ne reconnaĂźt pas la frontiĂšre du Labrador, Ă lâinstar des gouvernements de Taschereau, Duplessis, Johnson, LĂ©vesque et Bouchard, entre autres, qui avaient affirmĂ© la mĂȘme chose dâune maniĂšre ou dâune autre.
– En ce qui concerne la prĂ©tendue injustice du contrat de 1969, ce nâen est pas une. Dâabord pour la raison historique mentionnĂ©e ci-dessus. Mais aussi parce que le QuĂ©bec et Terre-Neuve ont signĂ© ce contrat de 1969 dans un contexte oĂč Terre-Neuve nâavait aucune capacitĂ© pour dĂ©velopper une centrale hydro-Ă©lectrique Ă Churchill Falls. Le QuĂ©bec a donc assumĂ© tous les risques pour la construction de la centrale avec, en contrepartie, un accĂšs Ă lâĂ©lectricitĂ© de Churchill Falls Ă des tarifs prĂ©fĂ©rentiels jusquâen 2041. Ce contrat est parfaitement lĂ©gitime, ce que les tribunaux ont confirmĂ©.
– Il nây a pas de dĂ©bouchĂ© pour lâĂ©lectricitĂ© de Churchill Falls autrement que par le QuĂ©bec.
– Le dĂ©veloppement et la gestion de nouvelles infrastructures de production dâĂ©lectricitĂ© ne peuvent ĂȘtre assumĂ©s exclusivement par Terre-Neuve, comme lâa dĂ©montrĂ© le fiasco de la centrale de Muskrat Falls (qui a coĂ»tĂ© 13,5 milliards de dollars (G$), le double de ce qui Ă©tait prĂ©vu, et qui produit de lâĂ©lectricitĂ© au taux ahurissant de 22,6 â” / kWh, une tentative terre-neuvienne de contourner le QuĂ©bec avec lâaide illĂ©gitime du fĂ©dĂ©ral.
Le PQ trouve que ça coĂ»te cher aux QuĂ©bĂ©cois que François Legault ne se soit pas souvenu de lâhistoire du QuĂ©bec et du Labrador et nâait pas assurĂ© la posture stratĂ©gique que le QuĂ©bec aurait dĂ» avoir en se prĂ©sentant aux nĂ©gociations sur Churchill Falls en position de faiblesse, en acceptant que le QuĂ©bec nâeĂ»t soi-disant dâautre choix que de faire des concessions majeures Ă Terre-Neuve. Selon le PQ, il a accrĂ©ditĂ© la thĂ©orie terre-neuvienne que câest Terre-Neuve qui est victime dâune injustice Ă cause du contrat de 1969, en abandonnant son devoir de rappeler la vĂ©ritable injustice de 1927 et de maintenir la position historique du QuĂ©bec.
« Le gouvernement de la Coalition avenir QuĂ©bec (CAQ) nĂ©gocie une partie importante de notre avenir Ă©nergĂ©tique sans aucun plan, aucune vision dâensemble. On lâattend toujours, le plan du gouvernement de la CAQ en Ă©nergie, mais en vain depuis des annĂ©es », conclut le chef du PQ.