Hydro-QuĂ©bec souhaite approvisionner ses rĂ©servoirs au maximum de leur capacitĂ© et a dĂ©jĂ commencĂ© Ă faire gonfler celui de Manicouagan pour lui permettre dâatteindre son plus haut niveau dâeau depuis le dĂ©but des annĂ©es 1980. Les raisons invoquĂ©es sont que la demande en hydroĂ©lectricitĂ© est plus faible et que les conditions mĂ©tĂ©orologiques sont favorables. Le mĂȘme scĂ©nario se produit partout au QuĂ©bec et notamment Ă la baie James.
Le rĂ©servoir de Manicouagan, qui peut contenir prĂšs de 138 kilomĂštres cubes dâeau et constitue le plus gros bassin hydrographique de la sociĂ©tĂ© dâĂtat, devrait se remplir pour atteindre sa capacitĂ© maximale dâici quelques annĂ©es. Le barrage Daniel-Johnson a Ă©tĂ© conçu pour retenir un volume dâeau aussi important et le niveau aquatique devrait atteindre une hauteur de 360 mĂštres par rapport au niveau de la mer.
Saturation du bassin
Selon la conseillĂšre â Communication et collectivitĂ©s Relations avec le milieu pour la CĂŽte-Nord Ă la Direction des affaires rĂ©gionales et collectivitĂ©s, Julie DubĂ©Â : « Au cours des prochains mois et des prochaines annĂ©es, Hydro-QuĂ©bec envisage de rehausser le niveau du rĂ©servoir Manicouagan dans les limites de sa cote maximale dâexploitation, Ă©tablie depuis les annĂ©es 1960. » Cette derniĂšre poursuit : « Depuis le dĂ©but des annĂ©es 1980, le rĂ©servoir nâa pas atteint le niveau prĂ©vu pour cet automne. Au premier mai 2016, les stocks Ă©nergĂ©tiques dâHydro-QuĂ©bec Ă©taient supĂ©rieurs Ă ceux observĂ©s au cours des 10 derniĂšres annĂ©es Ă pareille date partout au QuĂ©bec. » La porte-parole de la sociĂ©tĂ© dâĂtat explique que : « La forte hydraulicitĂ© (rapport du dĂ©bit moyen annuel, le module dâun cours dâeau destinĂ© Ă caractĂ©riser lâabondance de lâĂ©coulement) et la diminution de la demande industrielle au QuĂ©bec permettent Ă Hydro-QuĂ©bec dâemmagasiner de lâeau dans ses rĂ©servoirs. Comme il est impossible dâaccumuler lâĂ©nergie produite (comme dans le cas dâun panneau solaire par exemple), on retient lâeau qui est lâĂ©nergie potentielle qui nous servira Ă produire lâĂ©lectricitĂ© lorsquâon en aura besoin. Lâentreprise sera prĂȘte au moment de la reprise de la demande industrielle ou (celle du) marchĂ© extĂ©rieur. » Mme DubĂ© explique : « On le fait maintenant parce quâil y a de lâeau en abondance. Cette eau-lĂ câest comme une pile pour nous. » Si lâeau nâest pas conservĂ©e ou utilisĂ©e pour produire de lâĂ©lectricitĂ© grĂące Ă des turbines, elle sera dĂ©versĂ©e par lâĂ©vacuateur de crue, ce qui entraĂźnerait des pertes.
Hydro-Québec roi et maßtre
Gorger le rĂ©servoir Manicouagan veut dire entreposer des centaines de millions de dollars en Ă©nergie (en valeur dâaujourdâhui) derriĂšre le barrage Daniel-Johnson, mais cela signifie aussi inonder des terres publiques occupĂ©es par une centaine de villĂ©giateurs autour du plan dâeau, engloutir certaines petites Ăźles et nuire aux Ă©lans dâAmĂ©rique (orignaux) qui sâalimentent sur les berges. Mme DubĂ© prĂ©cise quâHydro-QuĂ©bec nâa pas besoin dâautorisation gouvernementale pour remplir le bassin : « On a un arrĂȘtĂ© du Conseil des ministres du dĂ©but des annĂ©es 1960 qui permet dâexploiter le rĂ©servoir Ă (certains niveaux), câest-Ă -dire inonder certaines zones jusquâĂ une altitude dĂ©terminĂ©e. On respecte les cotes dâexploitation Ă©tablies lors de la construction de lâouvrage.» Plusieurs baux de villĂ©giature ont Ă©tĂ© attribuĂ©s au fil des annĂ©es par le ministĂšre des Ressources naturelles et de la Faune devenu le ministĂšre de lâĂnergie et des Ressources naturelles (MERN) dans des zones de rivage qui seront forcĂ©ment inondĂ©es avant que cette responsabilitĂ© ne soit relayĂ©e aux municipalitĂ©s rĂ©gionales de comtĂ©s (MRC). Plusieurs propriĂ©taires de chalet assurent que le MinistĂšre ne les a jamais informĂ©s quâils Ă©taient situĂ©s en zone inondable lorsquâils ont obtenu leur bail. Mme DubĂ© prĂ©cise : « Les zones inondables nâont pas changĂ© depuis la construction du barrage. Elles sont connues et Ă©tablies depuis les annĂ©es 1960 et font partie des schĂ©mas dâamĂ©nagement. Les ministĂšres et les MRC les connaissent Ă©galement quand ils donnent des permissions. »
Diluer les responsabilités
Lâeau a dĂ©jĂ commencĂ© Ă monter et se rapproche des chalets et camps de chasse construits par les riverains. La gestion des baux de villĂ©giature a Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©e aux municipalitĂ©s rĂ©gionales de comtĂ©s (MRC) durant les cinq Ă dix derniĂšres annĂ©es. Le coordonnateur de la gestion fonciĂšre de la MRC de Manicouagan, Philippe Poitras souligne quâaucune carte ne dĂ©limite la zone inondable du rĂ©servoir et il est donc difficile de deviner les intentions de la sociĂ©tĂ© dâĂtat. Mme DubĂ© prĂ©cise que le niveau prĂ©cis actuel des rĂ©servoirs est de nature commerciale et confidentielle, mais que le niveau du rĂ©servoir qui alimente Manic-5 a montĂ© et devrait atteindre un mĂštre supplĂ©mentaire dâici un mois. « Le niveau se rapproche de celui de 2009 et devrait se maintenir durant deux Ă trois mois » selon les prĂ©visions de la sociĂ©tĂ© dâĂtat, mais plusieurs facteurs peuvent influencer les prĂ©visions Ă long terme notamment lâhydraulicitĂ© et la demande en Ă©nergie.
« Notre objectif nâest pas de tout faire pour augmenter le niveau dâeau, mais nous devons tenir compte du niveau naturel dâhydraulicitĂ©. » Le niveau devrait augmenter cet hiver si on se fie aux prĂ©visions des mĂ©tĂ©orologues dâEnvironnement Canada et de MĂ©tĂ©o MĂ©dia qui prĂ©voient des prĂ©cipitations record, mais selon Mme DubĂ© la demande plus importante en Ă©nergie durant la saison hivernale pourrait contribuer Ă faire descendre quelque peu le niveau du rĂ©servoir.
Noyer le garde-manger du gros gibier
Selon le biologiste Bernard Jolicoeur, la situation est prĂ©occupante puisque cette dĂ©cision va modifier lâhabitat du gros gibier. Ces terres inondables sont abondamment frĂ©quentĂ©es par lâĂ©lan dâAmĂ©rique (orignal) qui sâalimente dans ce secteur. « Ce qui fait la force de ce territoire pour lâorignal, câest la bande de petits arbres feuillus qui ceinturent le rĂ©servoir et servent de vĂ©ritable garde-manger aux orignaux. Cette bande de feuillus principalement composĂ©e de bouleaux et de trembles rĂ©sulte de la mise en eau originale du rĂ©servoir dans les annĂ©es 1960. » M. Jolicoeur poursuit : « à cette Ă©poque, toute une bande riparienne de forĂȘts dâĂ©pinette a Ă©tĂ© recouverte par les eaux puis les arbres sont morts (dâoĂč la grande quantitĂ© de gros troncs dâarbres qui jonchent encore aujourdâhui les rives du Manic) puis les eaux se sont retirĂ©es. Si on hausse le niveau dâeau de sept mĂštres, on va nĂ©cessairement noyer en grande partie le garde-manger des orignaux.»
La porte-parole de la sociĂ©tĂ© dâĂtat spĂ©cifie que : « Des Ă©tudes environnementales ne sont pas requises puisquâil ne sâagit pas dâun projet, mais bien de lâexploitation normale du parc de production. » Pourtant il existe des lois au QuĂ©bec qui interdisent justement de dĂ©truire lâhabitat des espĂšces fauniques. Est-ce que les responsables du ministĂšre des ForĂȘts, de la Faune et des Parcs ont Ă©tĂ© avisĂ©s des intentions dâHydro-QuĂ©bec qui reproduit le mĂȘme scĂ©nario dans plusieurs rĂ©gions du QuĂ©bec et ont-ils Ă©valuĂ© les consĂ©quences pour le gros gibier (orignaux, chevreuils, caribous) ?